Le Mont Saint Michel et son abbaye : un des sites les plus touristiques au monde. On peut lire partout que c’est sur fait, que c’est un attrape nigauds, un piège à touristes. Et pourtant. Nous avons vécu un séjour inoubliable … en particulier la première nuit … Voici comment.
Récit d’un séjour au Mont Saint Michel
Nous sommes en plein mois de janvier. Le froid règne sur la France, et nous enchainons depuis quelques jour les dépressions d’hivers qui amènent une dose d’humidité quand ce n’est pas de la pluie en gouttes tombantes et trébuchantes ! Il se trouve que j’ai quelques jours à récupérer mais ce sera impossible de les poser dans les mois ensoleillés. La charge de travail fait que c’est maintenant où jamais.
« Et si on allait au Mont Saint Michel ? »
Je ne vais bientôt plus habiter en métropole et avec les châteaux de la Loire, le Mont Saint-Michel est depuis longtemps dans ma « to do list ». Banco. Pas envie de faire l’aller retour en une journée, l’idée est prise de passer une nuit là-bas. On regarde les hôtels sur place. Quelques uns sont fermés en cette période d’hiver mais sinon il y a de la place. On regarde les commentaires et les notes : les gens sont assassins ! A les lires tout est nul ! En même temps je me demande ce qu’ils viennent chercher … « Les chambres sont trop petites » ou encore « les murs pas assez épais, on entend les voisins » … Quand on voit sur les photos la configuration du village accroché à flanc de rocher avec que des maisons d’époque médiévale pour certaines, moi perso je m’attends pas à ce que il y ait des lits king size à tous les étages. L’architecture et les volumes des chambres dans ces maisons en granite reflète l’histoire du lieu et je ne vois pas comment on peut exiger des choses pareil à par pousser les murs …
Nous choisissons finalement la Mère Poulard. Les autres ont l’air sympa mais j’aime bien l’histoire de l’hôtel, il y a une promo et surtout j’ai un pote qui s’appelle comme cela et ça me fait bien rire d’aller dans un hôtel qui porte son nom. On avait déjà blagué autour des biscuits de la Mère Poulard et il m’avait dit que malheureusement ce n’était ni sa mère ni sa grand mère ! Tant pis on ne sera pas pistonné en biscuits ! Et tant pis si on tombe dans le cliché, ça tombe bien j’adore : )
Je vous passe les détails du chemin. Et puis non, je vous fait un résumé : pluie, essuie glace, pluie, essuie glace … Et bonheur en arrivant : la pluie s’arrête ! Nous nous garons sur le grand parking, il n’y a pas tant de voitures que cela. Puis direction le bus où nous atterrissons au milieu de Chinois de Chine ! J’essais d’être poli et j’adresse un « sayonara » à ceux qui m’entourent couplé d’un « hello » au cas où. Pas plus mal ce couplage car après réflexion « sayonara » ça veut dire au revoir en Japonais, gloups ! Bon, au final tout ce petit monde est très sympa et c’est impressionnant les kilomètres que ces gens là ont fait pour venir voir le Mont Saint Michel ! C’est surtout ce que je retiens : on a de très beau site dans notre pays et des gens font le tour de la terre pour venir voir ce patrimoine qu’on a à porté de main.
Nous commençons à apercevoir le Mont Saint Michel … Pendant quelques minutes pour notre plus grand plaisir un rayon de soleil le détache du fond du ciel gris anthracite : magnifique ! Pas une goutte de pluie à l’horizon, nous sortons du bus et finissons à pied pour rejoindre l’entrée de la citée qui se fait par un passage dans la muraille. Finalement il y a peu de monde et très vite on se laisse glisser dans le temps. L’Hôtel de la Mère Poulard se situe quelques dizaines de mètres après avoir franchi la grande porte de l’enceinte. Nous nous présentons pour laisser les affaires, c’est vrai que c’est exigu, mais quel charme ! Attendons de voir les chambres ce soir, pour le moment direction un petit restaurant avant d’attaquer la visite de l’abbaye du Mont Saint Michel.
« La Grande Rue » du Mont Saint-Michel, la culture du souvenir depuis plus d’un millénaire
Nous remontons la rue principale appelée « La Grande Rue ». Boutiques souvenirs et petits restaurants s’enchainent. Il y a le choix. Si l’on s’intéresse à l’histoire du Mont Saint-Michel, cette configuration reflète finalement son histoire. Mis à part la période sombre suite au démantèlement du clergé où l’ensemble de l’île sert de prison après la révolution, le Mont Saint-Michel est un lieu de pélerinage. Qui dit pélerinage dit visiteurs à loger et à nourrir. Les souvenirs a rapporter faisaient partis de la démarche du pélerin, tout comme vous ramassez un peu de sable d’une plage du bout du monde pour vous remémorer votre voyage. Les enseignes de pèlerinage faisaient parti de ces objets auquel on rajoutait une dimension sacrée car elles étaient frottées aux reliques.
Les enseignes de pélerinage
Les enseignes de pèlerinage sont apparues au XIIe siècle en remplacement d’autres souvenirs que les pèlerins rapportaient des sanctuaires comme la terre, les morceaux de bois, les pierres ou les ampoules. Par leur forme et leur fonction, elles trouvent leur origine dans les sceaux et authentifient son porteur comme pèlerin. La grande majorité de ces enseignes a été jetée dans les fleuves au retour du pèlerinage et une grande partie d’entre elles a été perdue. L’existence de ces objets révèle la motivation première du pèlerin médiéval : le désir d’être en contact avec les reliques.
Car l’enseigne accède elle-même au rang de relique, elle en a tous les pouvoirs, elle est un talisman d’autant plus efficace si le tissu ou le miroir à son revers ont été frottés au reliquaire. Au retour, les enseignes deviennent le support de la dévotion individuelle, les pèlerins les plus fortunés qui possèdent un bréviaire ou un livre d’heures les cousent en marge des feuillets pour matérialiser leur piété. Ces usages de l’enseigne ou de la figurine de dévotion à des fins privées participent du phénomène de l’individualisation de la foi qui marque les XIIIe et XIVe siècles. ( Thèse Florence Chave Mahir université de Lyon & travaux de D. Bruna, Enseignes de pèlerinage et enseignes profanes, Musée National du Moyen Âge, Paris )
À proximité de l’entrée de l’abbaye, des moules de grande qualité ont été exhumés à l’emplacement d’un atelier de production en fonctionnement du XIVe au XVe siècle. (INRAP / Images Archéologie) Il s’agit là de moules pour confectionner des enseignes de pèlerins.
Donc finalement là où certains voient une série de magasins de bibelots moi j’y vois une tradition d’échoppes qui étaient déjà présentes au millénaire précédent. Il est intéressant également de noter qu’une magnifique maquette du Mont Saint-Michel fabriquée en 1701 est visible au Musée des Plan Relief à Paris. On peut y admirer dans le détail comment était à cette époque la Grande Rue.
Direction l’Abbaye du Mont Saint-Michel
Après une pause déjeuné bien mérité avec une belle vue sur la mer, nous attaquons l’ascension du Mont Saint-Michel. Nous profitons des remparts pour faire un bout de chemin et admirer la vue depuis le « Bastion Est » . Un grand panorama s’ouvre à nous. Il y a une très bonne visibilité, ce qui nous permet d’admirer la cote qui se dessine au loin. Nous avons le sentiment d’être comme un vaisseau au milieu d’une mer de sables mouvant. Cela me fait penser à une scène psychédélique de Pirate des Caraïbe avec la fameuse réplique de Jack Sparrow « Voilà que nous sommes suivis par des pierres, c’est bien la première fois ! ». Nous redescendons des rempart pour revenir dans la rue principale. Nous laissons sur notre gauche l’église paroissiale et son petit cimetière qui surplombe la rue.
Puis, plus loin, nous apercevons des travaux et les contournons. Il s’agit en fin de compte de fouilles archéologiques qui mettent à jour d’anciennes sépultures. L’endroit est vraiment chargé en histoire ! Face à nous la masse imposante et sombre de l’abbaye nous surplombe. Nous gravissons l’Escalier du Gouffre face à cet imposant bâtiment qui nous recouvre de son ombre. Qu’on le veuille ou non, il y a dans cette montée une forme de parcours initiatique et solennel. Je me plais à me mettre dans la peau des hommes et femmes en pèlerinages (1) dix siècles plutôt.
Nous entrons dans la salle des gardes, qui porte toujours bien son nom sauf qu’aujourd’hui c’était une gardienne. Après avoir montré patte blanche et un petit billet nous nous engageons dans l’imposant escalier du Grand Degré avec ses 90 marches. L’ensemble des bâtiments qui se trouvent sur notre gauche durant la monté est privé. En effet, des moines vivent encore là et ils sont complètement séparés du public pour leur quiétude.
Sur la droite en arrivant en haut de l’escalier se trouve une terrasse couverte qui porte le nom de terrasse du Saut-Gaultier, du nom d’un prisonnier qui s’y serait jeté. Voici un extrait du livre « Le Mont Saint-Michel et ses Merveilles, d’après les notes du Marquis de Tombelaine ».
La légende de la Terrasse du Sault-Gautier
« Au sortir de la cour de l’église, une série d’escaliers et de paliers conduit directement à la belle plate-forme du Saut-Gaultier, au niveau de l’église haute.
Elle fut construite, dans les premières années du XVIème siècle, par Guillaume de Lamps , et était couverte d’un toit. Cette plate-forme d’après la légende devrait son nom au sculpteur Gaultier, prisonnier au Mont Saint-Michel sous François 1er, dont nous parlons avec plus de détails, page 100.
Cet artiste, doué d’un remarquable talent, est l’auteur de quelques-unes des plus belles sculptures.
Du haut de cette esplanade, la vue embrasse, par les temps limpides, un splendide panorama des côtes du Cotentin et de la Bretagne, avec le Mont Dol comme point saillant. Sous les pieds du visiteur sont les substructions considérables qui forment les soubassements de l’église et des principaux bâtiments qui l’entourent. En dehors de l’Abbaye, du côté du sud, se trouvent les bâtiments du Musée. »
Nous sommes maintenant sur la terrasse de l’ouest qui nous offre une vue dégagé et du recul pour admirer la façade de l’église abbatiale. Je suis étonné par le peu de monde qu’il y a. Nous entrons dans le monument, nous sommes seulement cinq ou six personnes. Le ciel dehors est devenu une chape de plomb lumineuse, laissant entrebâiller une bande de lumière à l’horizon. La nef gothique laisse entrer cette lumière diffuse et nous profitons de ce moment de calme et de silence pour apprécier le lieu. Quel travail ! Je traine un peu, fait le tour de l’édifice, nous ne sommes plus que deux à l’intérieur …
Nous continuons notre visite et débouchons sur le cloitre monastère. L’endroit est tout simplement magique. Au centre s’inscrit un jardin suspendu. Suspendu car vous l’aurez compris il y a l’ensemble d’un bâtiment en dessous. Ce préau, perché en altitude me rappelle une impression déjà vécu aux Météores en Grèce, un mélange de grâce et d’intemporalité.
La vue dégagée donne sur Tombelaine, un autre rocher voisin. Les trois personnes qui me devançaient s’en vont : me voilà seul et tranquille pour continuer à réaliser mes prises de vues photographiques en sténographie ( photos en 3D ).
Particularités du cloitre
Les théologiens du 13ième siècle souhaitaient rapprocher Dieu de l’homme et son incarnation. Pour traduire cela, l’architecture du cloitre a été pensée au travers d’un savant mélange qui en fait un chef d’oeuvre. La théologie de l’incarnation se traduit dans la pierre sous différentes formes.
L’architecture est à l’échelle de l’homme.
La multiplication des colonnes et leur hauteur sont accessible et à l’échelle de l’homme. Leur espacement par exemple est proche de la largeur d’épaules. La hauteur des chapiteaux est accessible en tendant le bras. Les piliers peuvent s’apparenter à des troncs d’arbres dont le diamètre se laisseraient enlacé.
Le cloitre en chiffres
La croyance absolu veut que les nombres révèlent une autre réalité. L’ensemble du cloitre est travaillé autour du chiffre 3 et du chiffre 7 qui représentent respectivement la trinité et la représentation de l’homme.
- Le nombre total de colonnes : on a 137 colonnes soit les chiffres 1, 3 & 7.
- Les deux grands coté du cloitre possèdent 21 arcades : 21 = 3×7.
- Entre le christ en croix du réfectoire et la représentation de la vierge à l’enfance de la galerie sud, on a 37 colonnettes : on retrouve le chiffre 3 et 7.
- La grand galerie nord possède 27 grandes arcades qui correspond à 3 x 3 x 3 = 27.
Nous enchainons la visite : le réfectoire, la salle des Chevaliers, la Crypte des Gros Pilliers, extrêmement impressionnante. À certains moment nous ne savons plus trop de quel coté du bâtiment nous sommes. Je prendrais un plan avec moi si je devais le refaire pour profiter et comprendre encore mieux les déambulations dans cet endroit unique.
Nous trainons un peu dans la librairie du musée en fin de visite. On n’a qu’une envie : tout acheter pour continuer encore ce plongeon dans l’histoire une fois rentré à la maison !
Les rues du Mont Saint-Michel se vident
Nous redescendons au travers du village, en passant à coté de petit jardin perchés. L’autre flanc semble intéressant mais ce ne sera pas pour cette fois. Il y a une chapelle isolée située sur une excroissance rocheuse : la Chapelle Saint-Aubert, érigée pour le culte du fondateur du Mont Saint-Michel, évêque d’Avranches en 704.
Le froid nous a bien sonné. L’hôtel douillé nous permet de se poser un peu et refaire le plein de calories avec une douche bien chaude. De la fenêtre les derniers bus partent pour le continent, la nuit vient d’envelopper le Mont Saint-Michel et nous avec. Nous avons alors vraiment le sentiment de devenir insulaire.
Nous décidons de trouver un petit restaurant à l’extérieur. En effet celui de la Mère Poulard dans notre hôtel nous fait bien envie mais notre budget ce week end là ne nous permet pas de tester la carte qui a l’air bien sympatique. Les rues sont vides. Un beau feu de cheminée nous attire dans la salle de restaurant de l’Auberge Saint Pierre : ce soir ce sera bisque de homard !
Malgré la fatigue de la route et d’avoir marché toute la journée dans le froid, l’envie de continuer d’explorer le Mont Saint-Michel de nuit est trop forte !
Nous repartons dans les petites ruelles cette fois. Certaines sont des boyaux dignes d’une scène de crime d’Agatha Christie. Nous nous plaisons à chercher la plus petite et de fil en aiguille nous nous retrouvons dans le petit cimetière … La brume glacée a enveloppée le Mont et serpente sur les toits du petit village. Le lumière des petites lanternes accrochées aux maisons diffuse des halos vaporeux dans ce brouillard. Nous nous taisons et traversons avec calme et respect ce lieu de repos éternel. Nous rejoignons ainsi une rue parallèle à la Grande Rue en hauteur qui nous amène sans le vouloir derrière notre hôtel à l’entrée de la cité.
Nous vient alors l’idée de ressortir des remparts pour avoir un peu de recul pour observer le Mont Saint-Michel de nuit. Alors que nous observions la majesté du monument qui nous surplombe nous nous arrêtons de parler. Après un regard acquiesçant mon amie me dit « tu as attendu ? ». « Oui j’ai entendu, il y a quelqu’un qui chantait ». Le chant reprend. « On dirait un chant religieux, mais d’où ça peu venir ? ». Puis nos yeux habitués au noir distingue une silhouette. « Regardes ! Il est là ! ». En effet, une moine situé sur la terrasse supérieur faisant face à la grève chante seul au milieu de la nuit, comme si il reprenait possession de ce lieu quand les ténèbres chassent l’effervescence de la journée.
« Dans la nuit, un chant de moine vient percer le silence »
Ce moment restera gravé pour longtemps en nous. Jamais je n’aurais pensé avant de venir au Mont Saint-Michel que nous vivrions un tel moment suspendu. La magie est toujours là, intacte, à qui sait l’attendre.
Certes l’ensemble des musées étaient fermés à la période où nous sommes venu. C’est l’inconvénient peut être de venir dans la période la plus creuse. Mais le Mont a fait preuve d’une authenticité que je n’aurais jamais soupçonné et avec du monde ou sans monde, on ne peut pas rester indifférent devant autant d’histoires.
(1) les pèlerins du Mont Saint-Michel étaient appelés les Miquelots
A lire : « Le Mont Saint-Michel d’antan » regroupant d’anciennes cartes postales